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Compte rendu du record de 1955 écrit par F.Nouvion en 1955.

A. - VOITURES

En raison du dispositif à soufflet installé entre locomotive et le convoi pour améliorer l'aérodynamisme, il était indiqué d'équiper une rame spéciale pour chaque engin moteur. Chacune de ces 2 rames fut constituée par 3 voitures construites en 1946 et ayant couvert de longs parcours depuis leur mise en service.
Les bogies du type Pennsylvania Y 16 furent remplacés par des bogies renforcés emboutis et soudés du même type Y 16 modifié que ceux qui équipent les voitures construites en 1950.

Les 2 premières voitures de chaque rame étaient munies de boîtes d'essieux à roulements SKF modifiées pour permettre le retour d'une partie du courant traction amenée de la locomotive par des câbles spéciaux de 214 mm2 de section. La dernière voiture de chaque rame était équipée de boîtes à roulements Timken.

Pour obtenir les mêmes garanties de sécurité que sur les locomotives, des roues monobloc furent également substituées aux roues à bandages classiques.

Les nouvelles roues laminées par Usinor furent calées sur les essieux aux ateliers S.N.C.F. de Nevers et l'usinage final effectué aux ateliers S.N.C.F. d'Oullins par tournage au profil du quarantième avec la précision de + ou - 0,1 mm L'ensemble roues-essieux fut équilibré dynamiquement avec un balourd résiduel inférieur à 20 grammes évalué à 0,500 m de l'axe.

Le parallélisme des roues, l'épaisseur des boudins ainsi que l'écartement de leurs faces actives furent soigneusement vérifiés. Pour améliorer le freinage tout en réduisant la pression unitaire, des sabots à double semelle furent substitués au dispositif normal ne comportant qu'une semelle unique.
En outre, pour limiter la rotation des semelles autour de leur axe et empêcher tout contact avec les tables de roulement, une butée spéciale fut ajoutée à chacune d'elles. Cette modification fut appliquée à Bordeaux, avant le début des essais. L'aérodynamisme des rames fut amélioré par la suppression des aérateurs, poignées montoires et marchepieds.
On conserva cependant un accès à chaque extrémité des rames (Fig. 45 & 45a).


la rame d'essai
composition de la rame d'essai

Les intervalles entre voitures se trouvèrent supprimés par des soufflets spéciaux à enveloppement total et la face arrière du dernier véhicule des rames reçut un appendice léger dont la forme aérodynamique réduisait très notablement la traînée. Toutes les dynamos d'éclairage furent démontées.
    Sur la voiture de tête de chacune des 2 rames étaient installés une antenne destinée aux transmissions radiotéléphoniques et deux périscopes permettant l'observation des pantographes; une ligne téléphonique doublée d'une signalisation lumineuse mettait en liaison les observateurs et la cabine de conduite .

Les batteries de 270 Ah et 400 Ah nécessaires à l'alimentation des appareils de télécommunication et d'enregistrements étaient également disposées dans les compartiments 2 et 5 des voitures de tête. Toutes les voitures étaient équipées du frein automatique et du frein direct. La mise en action du frein direct avait pour effet de freiner les voitures mais non la locomotive.

Il était ainsi possible d'appliquer un effort retardateur au crochet de cette dernière dans le cas ou interruption de l'effort de traction aurait amorcé des mouvements perturbant sa stabilité. Le frein automatique restait en action sur l'ensemble du convoi, locomotive et voitures, pour des raisons de sécurité évidentes (Fig.46).


observation du captage

B. - VOIE

Aucune modification n'a été apportée à la voie elle-même en vue de ces essais.
Normalement traitée pour son nivellement par soufflage mesuré, elle avait simplement subi, au début de l'année 1955, un soufflage de joints et un dressage précis. Elle était donc de la qualité couramment rencontrée sur les grandes lignes. La courbe de Labouheyre, située à 14 km au-delà de la gare d'Ychoux où devait être interrompue la marche en traction, nécessitait toutefois une modification.
Le tracé de la ligne présentait en effet, en gare de Laboureyre, une courbe de 3120 m de rayon minimum normal, franchie à 120 km/h.
La direction du Matériel ayant demandé que cette courbe puisse être franchie à la vitesse de 220 km/h, le service de la voie y a réalisé une augmentation du dévers qui reste compatible avec le passage des trains du service ordinaire. Le coefficient de dévers a été ainsi fixé de 120 à 200, le dévers passant de 40 à 66 mm, ce qui a nécessité une augmentation de la largeur des raccordements paraboliques, afin de conserver une pente de dévers acceptable pour de très grandes vitesses (0,8 mm/m). Cet allongement des raccordements a pu être réalisé au détriment d'une légère diminution du rayon de la courbe, ramené à 3030 m.

Pour une vitesse de 220 km/h, l'insuffisance de dévers était de 130 mm et la variation d'insuffisance de dévers par seconde de 100 mm.


C. - ACHEMINEMENT DU MATERIEL

Le 12 mars 1955, la BB 9004 ainsi modifiée sortait des Ateliers du Creusot et rejoignait la CC 7107 à l'atelier de Vitry, pour y subir les quelques modifications et vérifications d'ordre électrique énumérées ci-dessus. Un certain parcours de rodage était nécessaire avant de lancer ces machines vers le record: il n'avait cependant pas besoin d'être très important.
La BB effectua le seul trajet le Creusot-Vitry-Bordeaux, soit 1000 km environ, la CC, après un parcours de contrôle sur Etampes, un seul aller et retour sur Paris-Bordeaux, avant de rejoindre cette ville où devait être rassemblé tout le matériel (soit un peu moins de 2000 km).

Des mesures spéciales durent être prises à l'occasion de ces marches de rodage et d'acheminement; il était, en effet, souhaitable de rouler à des vitesses telles que le rhéostat de démarrage puisse être éliminé, c'est-à-dire aux alentours de 140 km/h.

Mais par ailleurs, l'utilisation du freinage devait être proscrite afin d'éviter toute détérioration des tables de roulement, de même que les parcours sans courant, qui risquent d'être néfastes pour la tenue des balais et des collecteurs des moteurs.
La solution adoptée consista à réaliser ces marches en double traction, la machine d'essai ayant son freinage paralysé.

Quant aux voitures, préparées à l'entretien de Paris-Masséna, elles furent simplement acheminées sur Bordeaux par des trains de messageries, avec cette seule particularité d'avoir, elles aussi,le freinage paralysé. On a vu en effet que les roulements avaient été prélevés sur des voitures en service commercial; aucun rodage n'était donc nécessaire.

L'ensemble du matériel ainsi rassemblé à Bordeaux, le 21 mars, les rames d'essai furent constituées sur des voies du dépôt local, qui servait ainsi de "base" des essais. C'est là que furent posés les soufflets et mis en place les différents câblages nécessités par l'évacuation des courants de retour, les liaisons téléphoniques entre machines et voitures, l'alimentation des appareils de mesure, etc...


D - ENREGISTREMENTS
Image

Il y avait aussi la question des enregistrements à effectuer au cours des marches d'essai. L'enregistrement de la vitesse a été effectué, à bord de chaque machine, par un appareil Flaman conçu spécialement, qui permettait une lecture précise, la bande enregistreuse étant plus haute et se déroulant plus vite en fonction de l'espace parcouru que sur les appareils habituels.

Le Flaman ainsi réalisé effectue un tour en 15 m, le déroulement du papier étant de 20 mm par kilomètre, le temps d'intégration de 2,4 secondes.
Un contrôle au sol de la vitesse avait, en outre, été prévu, une base de chronométrage (Fig. 48) étant installée à cet effet, aux abords d'Ychoux, point de la ligne où devait être atteinte la vitesse maximum.

Cette base comportait un appareil ainsi constitué (Fig. 49a) : deux Chronomètres étaient placés côte à côte dans une boîte, le premier indiquant les minutes, secondes et cinquièmes de secondes, l'autre donnant les secondes et centièmes de seconde; devant ceux-ci était placé un appareil photographique muni d'un flash électrique. Des pédales (Fig. 49b) étaient, par ailleurs, placées sur la voie, tous les 1 000 m, (Fig.49b & 50) dans la zone de vitesses les plus élevées.
Leur enfoncement par le premier essieu du convoi était transmis électriquement au flash, par l'intermédiaire d'une ligne à deux fils posée le long de la voie, permettant ainsi de photographier les deux chronomètres; l'appareil n'avait qu'à être réarmé avant la photographie suivante. On pouvait ainsi connaître, avec une grande exactitude, le temps mis par le train pour parcourir chaque kilomètre de la zone.

En ce qui concerne les enregistrements électriques sur la rame, ils portaient seulement sur la tension au pantographe.

Les chronomètres

Une pédale de déclenchement de flash

L'intensité totale traversant les moteurs et la puissance totale absorbée par ceux-ci, un compteur, muni d'un système à top, totalisait l'énergie totale consommée par les moteurs, chaque tour de disque étant transmis à une bande enregistreuse. Les bandes de ces quatre appareils, entraînées par un même mouvement d'horlogerie, se déroulaient en fonction du temps à la vitesse d'environ 4 mm par seconde. Les limites d'enregistrement de ces appareils étaient les suivantes :
      - de 0 à 3000 V pour la tension,
      - de 0 à 4800 A pour l'intensité,
      - de 0 à 10 000 kW pour la puissance.

Ces appareils étaient montés dans le premier compartiment de la première voiture de chaque rame. Des enregistrements de tensions et d'intensités étaient également assurés, en courant continu, dans les sous-stations intéressées. En ce qui concerne la haute tension, des voltmètres et des wattmètres étaient placés au poste de Pessac, sur le départ 60 kV, et à la sous-station de Lamothe, à la sortie de l'autotransformateur 60 /75 kV.

Quant aux mesures relatives à la stabilité des convois, il ne pouvait être question de procéder, sur la locomotive CC 7107, à des mesures directes d'effort - à l'aide de détecteurs à quartz piézo-électrique - telles que celles exécutées en février 1954, sur la CC 7121.

Les montages mécaniques destinés à de telles mesures n'avaient pas été conçus pour des vitesses de rotation correspondant à 330 km/h. Bien qu'ils n'aient pas subi de dommages jusqu'à 240 km/h, on a jugé prudent de renoncer à leur mise en œuvre, pour des vitesses sensiblement supérieures. C'est, en conséquence, au seul enregistrement de l'accélération transversale de la caisse de la locomotive, au droit du centre du bogie avant, qu'on a limité le contrôle des qualités de stabilité de la locomotive CC 7107. En ce qui concerne la locomotive BB 9004, on a opéré de même, en relevant au cours des essais les accélérations transversales.
On en a déduit les efforts à l'aide de relations entre efforts et accélérations établis pour la locomotive BB 9003 à des vitesses allant jusqu'à 160 km/h (Fig. 50).

ORGANISATION DES ESSAIS

Compte tenu des fatigues élevées supportées par certains organes mécaniques et électriques des machines au cours des essais, ainsi que du travail exceptionnel et de l'ébranlement auxquels la voie est soumise, et hormis toute question d'alimentation et de captage, il convenait de réduire le nombre de marches à très grande vitesse au strict minimum. ll était souhaitable par suite de réaliser la vitesse maximum, avec chaque rame, en une seule tentative.
Toutefois, la locomotive BB 9004 n'ayant jamais roulé à plus de 200 km/h, on avait décidé de faire avec celle-ci une marche de reconnaissance vers 270 km/h.

ETABLISSEMENT DES MARCHES

La réalisation de telles vitesses soulevait quelques difficultés pour l'insertion de la marche dans le graphique normal des trains. Le parcours Facture-Morcenx n'est pas en effet une piste d'essai, mais une section de ligne ouverte au service commercial; il s'agit même là d'une des artères les plus importantes de la S.N.C.F., sinon par la quantité du trafic, du moins par sa qualité, puisqu'elle assure la partie essentielle du trafic entre les pays ibériques et le reste du continent et dessert en outre les stations de la Côte Basque et d'une bonne partie des Pyrénées.
Le parcours Facture-Lamothe constitue de plus un tronc commun de la ligne Bordeaux-Dax avec celle de Bordeaux à Arcachon, sur laquelle s'effectue un service voyageurs du type grande banlieue. Il fallait, en pratique, trouver une marche compatible avec les 24 circulations journalières de trains de voyageurs réguliers, les autres trains pouvant, à la rigueur, être décalés.
Il était, en effet, nécessaire de tenir compte aussi bien des trains de sens pair que des autres, la présence d'aucun véhicule ne pouvant être tolérée sur une voie adjacente car, en plus des risques inutiles introduits en cas d'incident, un croisement à des vitesses aussi élevées provoquerait vraisemblablement un bris de glaces sur la rame et peut-être même des efforts assez importants sur les voies, par suite des remous d'air créés entre les deux rames.

MESURES PARTICULIERES DE SECURITE

On ne pouvait s'en tenir, par suite notamment de l'insuffisance du freinage, aux règlements officiels concernant la circulation des trains : il fut donc prévu pour ces marches, en plus des mesures spéciales applicables avant le départ du train et déjà mentionnées ci-dessus, une organisation particulière de la sécurité.
Celle-ci reposait essentiellement sur un gardiennage de la voie, assuré pendant la durée de la marche dans les conditions suivantes : dans chaque gare, les emprises étaient interdites au public et un agent assurait la surveillance de la voie, deux autres restant en permanence à l'écoute sur les circuits téléphoniques omnibus et de régulation; à chaque passage à niveau étaient placés deux agents, avec mission d'interdire tout accès aux emprises; à chacune des prises téléphoniques de pleine voie, c'est-à-dire tous les 800 m environ, un agent était posté pour surveiller les voies et empêcher, dans la mesure du possible, leur accès, aux animaux notamment.

Tous ces agents étaient munis de téléphones leur permettant éventuellement d'aviser la sous-station de Licaugas de tout incident inopiné. A cette sous-station était installé un chef de sécurité disposant, en plus des liaisons téléphoniques avec les agents de surveillance, d'une liaison par radio avec la cabine de conduite de la locomotive du train; il pouvait ainsi transmettre à celui-ci dans les moindres délais, le cas échéant, toute information utile.
L'hypothèse d'une défaillance de cette liaison radio avait même été envisagée : les agents des gares et des passages à niveau avaient été munis dans ce but de torches visibles à grande distance, leur permettant de signifier au train un ordre d'arrêt, en cas d'obstacle sur la voie ou sur ordre du chef de sécurité.
Ce système de torches avait d'ailleurs été organisé, car on avait dû renoncer à l'utilisation de la signalisation habituelle, le block PD équipant la ligne s'étant révélé d'un fonctionnement aléatoire lors des essais de Novembre, par suite de la valeur extrêmement élevée de l'intensité appelée par les machines.

PROTECTIONS DIVERSES

Sur les installations fixes d'alimentation, il y avait surtout à craindre un amorçage d'isolateur dans les installations à 60 kV utilisées sous 75kV. !! Une double protection, qui provoquait le déclenchement du disjoncteur de l'autotransformateur, avait été prévue; à maximum, au moyen de 3 relais RMA 3 réglés à 180 A et de terre avec un relais RMAH 3; ces deux protections étaient temporisées à 0,5 secondes.

Côté continu, les deux disjoncteurs UR de départ de la sous-station de Licaugas, réglés à 3500 A, avaient été montés en parallèle. Dans les trois sous-stations mobiles de Lamothe, Lugos et Ychoux, qui comportent chacune un JR ne fonctionnant normalement qu'à retour de courant, un relais de surcharge avait été installé, qui ne provoquait le déclenchement du disjoncteur que pour un débit orienté vers la caténaire. Ces relais étant réglés à 4000 A pour la première sous-station et à 5500 A pour les deux autres, on éliminait ainsi tout fonctionnement intempestif di/dt, redouter lors du passage des crans de shuntage sur les locomotives. Celles-ci avaient conservé uniquement leur protection essentielle, par relais différentiel, agissant sur le disjoncteur général, dont le réglage avait en outre été porté à la valeur de 6000 A.

INSTRUCTIONS DONNEES AU PERSONNEL

1°) PERSONNEL DE CONDUITE.
Règles de conduite.

Afin d'obtenir les meilleures performances possibles, tout en respectant les limites d'intensité prévues pour ces essais (1400 A par moteur pour la CC, 1050A pour la BB), il fallait donner au conducteur une règle de conduite précise. Le passage des crans rhéostatiques ne présentait pas de difficultés spéciales, ces crans étant assez rapprochés et franchis entre Lamothe et Licaugas, zone où la tension était la moins élevée. ll fut donc possible de fixer une règle simple pour leur passage; l'intensité de reprise par branche de moteur serait de 1250 A pour la CC 7107 et de 1000 A pour la BB 9004.

Le passage des crans de shunt s'avérait plus délicat : ils sont plus éloignés les uns des autres que les crans rhéostatiques et leur échelonnement ne conduit pas à une même intensité de pointe pour une même intensité de reprise. De plus ils devaient être franchis dans une zone mieux alimentée où la tension devait rester assez élevée, ce qui donnait une plus grande acuité au problème des contraintes de commutation.

Une règle de conduite très simple eût été de fixer au conducteur, pour le passage de chaque cran, soit une vitesse bien déterminée, soit un point kilométrique donné, ce qui eût été possible car le tracé des courbes vitesse-espace et temps-espace, réalisé à l'aide de l'intégrateur Amsler, avait permis de définir théoriquement le lieu de passage des crans (vitesse et situation sur le terrain) et les régressions obligatoires au voisinage des sous-stations, ainsi que les temps séparant chaque manœuvre. Ces renseignements furent d'ailleurs communiqués au conducteur, mais simplement à titre indicatif, car une telle règle de conduite eût supposé que l'on pouvait se fier entièrement à la courbe de mise en vitesse prédéterminée théoriquement. Or celle-ci pouvait être différente en pratique, compte tenu des écarts possibles entre la résistance à l'avancement estimée et sa valeur réelle, ainsi que des différences éventuelles de tension en ligne.

Les notions de vitesse et d'espace étant ainsi éliminées, il fallait n'utiliser que l'indication des appareils de mesure des grandeurs électriques à savoir : intensité par moteur et tension au pantographe. Il s'agissait en fait de fixer les intensités de reprise à observer sur chaque cran en fonction de la tension au pantographe, de façon que l'intensité de pointe sur le cran suivant à taux d'excitation plus faible ne dépasse pas la valeur maximum prescrite: il fallait donc tenir compte de la variation de tension au pantographe résultant de la variation d'intensité. Il fut remis à cet effet au conducteur, en plus des courbes représentant la marche escomptée, des graphiques qui avaient été établis en observant qu'à chaque position du train en ligne correspondait une valeur de résistance ohmique des installations d'alimentation. Ces graphiques avaient été établis en se basant sur les considérations suivantes.
Soit :
      Uo : la tension de base supposée constante ramenée côté HT;
      Up : la tension au pantographe;
      Um : la tension aux bornes des moteurs;
      (Um = Up pour la locomotive BB 9004;
      (Um = Up/2 pour la locomotive CC 7107 munie de moteurs 1/2 tension);
      R: la résistance ohmique apparente des installations d'alimentation depuis les points d'alimentation HT ;
      Im: l'intensité absorbée par moteur;
      I: l'intensité totale absorbée par la locomotive;
      (Au dernier couplage, I = 4xImoteur pour la BB 9004 et =3xImoteur pour la CC 7107);
      r : Ia résistance ohmique d'un moteur;
      Fj : l'effort à la jante.

Nous pouvons écrire cette formule : Up = Uo - RI et E = Um - RImoteur

Les courbes Fj(V) et Fj(I) (Fig. 51), déduites d'essais en atelier et établies à tension constante U' permettent d'écrire ce calcul :

E'=U'm-RImoteur
Or, dans un moteur série, le flux ne dépendant que de l'intensité pour un taux d'excitation donné, on peut écrire:
Pour une tension Up au pantographe, ou Um aux moteurs, V = V' E/E'
Ces relations permettent d'établir les courbes Fj(V) à tension variable valables pour une résistance apparente R de la ligne d'alimentation. Nous obtenons ainsi (Fig. 52) ces courbes déduites de celles de la figure 51.
Pour cette valeur R de la résistance apparente, donc pour une position bien déterminée du train en ligne, nous déduisons facilement l'intensité de reprise à observer sur le cran PC pour passer au cran Sh1 sur lequel on trouvera l'intensité maximum prescrite. Connaissant cette intensité de reprise (donc l'intensité totale correspondante) on peut calculer pour cette valeur de R, la tension au pantographe correspondante :
Up = Uo - Rl .

Nous obtenons ainsi un point du graphique correspondant au cran PC, En faisant le même travail pour tous les crans et pour plusieurs valeurs de R on détermine les courbes des graphiques (Fig. 51 et 52). On élimine ainsi, dans la présentation du document définitif la valeur de la résistance apparente pour ne faire intervenir que l'intensité de reprise et la tension en ligne. Cette règle est donc valable quelles que soient la vitesse du train et sa position sur le terrain.


Fj(V) et Fj(I)

Le calcul a révélé qu'il était possible de considérer parfois une seule et même courbe pour plusieurs crans. Notons, d'autre part, que sur un cran donné, lorsque la tension en ligne s'élevait rapidement à l'approche d'une sous-station, le conducteur devait revenir sur le cran précédent dès que l'intensité par moteur atteignait la valeur maximum prescrite. Cette manœuvre ne présentait d'ailleurs aucune difficulté, l'intensité maximum par moteur étant bien déterminée et la même pour tous les crans: 1400 A pour la CC 7107 et 1050 A pour la BB 9004.

Les courbes de mise en vitesse - (vitesse - espace) - (voir plus loin Fig. 59) avaient d'ailleurs été tracées à l'aide de l'intégrateur Amsler en utilisant des courbes d'aptitude en côtes déduites des courbes Fj(V) établies cran par cran pour plusieurs valeurs de la résistance apparente de la ligne d'alimentation, comme il a été dit plus haut.

REGLES DE FREINAGE.

On voit sur les courbes de vitesse prétracées (plus loin Fig. 59) que la décélération due à la seule résistance à l'avancement des convois permet de faire retomber la vitesse de ceux-ci aux valeurs respectives de 235 et 226 km/h pour la CC et la BB à l'entrée de la courbe de Labouheyre, dans laquelle la vitesse maximum autorisée est de 220 km/h. Or, ces courbes ont été établies en admettant que la marche en traction serait interrompue à Ychoux; mais nous verrons tout à l'heure qu'il fut jugé préférable au dernier moment de la limiter au PK 73.
Par ailleurs, les courbes de décélération ont été tracées, à titre de sécurité, en tablant sur la même formule de résistance à l'avancement que celle utilisée en traction, alors qu'il faudrait considérer des valeurs plus élevées de celle-ci par suite des pertes mécaniques dans la transmission des machines. Il n'y avait par suite aucun freinage à prévoir entre Ychoux et Labouheyre, dans la mesure évidemment où les marches réalisées se révéleraient en pratique conformes à celles escomptées. Pour l'arrêt en gare de Morcenx, aucun problème ne se posait, les vitesses prévues en ce point étant de l'ordre des vitesses commerciales. L'utilisation du freinage n'était donc à envisager qu'en cas d'obstruction inopinée de la voie devant le train d'essai. Pour l'exécution d'un tel arrêt, intervenait comme nous l'avons vu la notion de puissance maximum dissipable sans dommage déterminé à la suite des essais effectués au banc; une consigne était donnée au conducteur, prescrivant une série de paliers de freinages progressifs calculés pour provoquer la dissipation d'une puissance d'environ 60 kW par roue et déclenchés en fonction des chutes de vitesse observées. Ce freinage était à réaliser à l'aide du frein automatique normal, qui agissait sur l'ensemble de la rame, locomotive comprise.

L'utilisation du frein direct modelable avait cependant été prévue, son action ne portant que sur les voitures. On pouvait, en effet, redouter (car les essais de Juin et de Novembre l'avaient montré), que la stabilité de la locomotive ne soit diminuée au moment de la coupure du courant. Il fut alors prévu d'exercer un certain effort sur le crochet d'attelage de celle-ci, en freinant légèrement les voitures au moyen du frein direct.

REGLES D'UTILISATION DES PANTOGRAPHES

Les deux pantographes équipant chaque machine devaient être utilisés à tour de rôle; le pantographe avant d'abord, pour assurer la remorque du train jusqu'à Lamothe, où était prévu son remplacement par le pantographe arrière pendant le passage de la zone à vitesse-limite de 110 km/h. Celui-ci avait ensuite à réaliser la totalité de la marche en traction, puis devait être abaissé dès la fin de celle-ci au PK 73. Le pantographe en prise devait en outre être immédiatement abaissé en cas d'allumage de la lampe rouge, installée à cet effet, commandée depuis la voiture.

2°) LE PERSONNEL A BORD DES LOCOMOTIVES.
Liaison radiophonique.

Le responsable de cette liaison, sur le bon fonctionnement de laquelle reposait toute la sécurité du convoi lancé à grande vitesse, avait à se tenir en contact permanent avec le poste de Licaugas, qui devait le renseigner éventuellement sur les remarques des observateurs situés le long de la voie ainsi que sur le fonctionnement correct ou non des sous-stations réparties le long de la piste d'essai.


Observation de la ventilation des moteurs.

Les responsables des liaisons radiophoniques et téléphoniques situés dans la cabine de conduite de la locomotive avaient également pour tâche de suivre sur les tubes de Pitôt l'évolution de la pression d'air dans les buses de ventilation des moteurs.


Pointage des kilomètres.

Un autre agent assurait le pointage des P.K, et des gares au moyen d'un appareil envoyant une impulsion sur les bandes enregistreuses des grandeurs électriques et de vérification de la stabilité. Ces tops permettaient de repérer les deux bandes l'une par rapport à l'autre et de les situer approximativement en fonction de l'espace parcouru.

3°) PERSONNEL DES VOITURES.
Observation de la caténaire.

La consigne principale donnée à l'observateur placé au périscope dans la première voiture de la rame était d'utiliser le pantographe jusqu'à l'extrême limite. Par liaison téléphonique, il devait communiquer à son correspondant dans la cabine de conduite de la locomotive ses observations sur le captage, de façon à permettre à ce dernier de savoir à tout instant comment se comportait le pantographe et de déterminer le moment précis où il devenait urgent de le baisser.

Observation de la stabilité de la locomotive.

Le responsable de cette fonction placé également dans la première voiture avait pour mission de suivre sur ses enregistreurs l'évolution des accélérations transversales de la caisse de la locomotive, et d'alerter, le cas échéant, par téléphone, la cabine de conduite si l'amplitude des accélérations dépassait la valeur maximum fixée.

Ouverture des baies.

Les autres personnes présentes dans la rame avaient comme mission d'ouvrir les fenêtres des voitures une fois terminée la marche en traction, afin de faciliter la décélération du convoi.

ESSAIS PRELIMINAIRES

l.- Avec la locomotive CC 7113.

Un certain nombre de marches de reconnaissance furent effectuées avant les essais à très grande vitesse, notamment avec la locomotive CC 7113, machine sœur de la 7107 mais non modifiée. Elles avaient pour but de déceler d'une part les irrégularités de captage et par ce fait même repérer les zones où la caténaire devait subir quelques améliorations, et d'autre part, les points de la voie où les locomotives étaient susceptibles d'exercer un effort maximum, notamment dans les courbes de Labouheyre.

La première marche eut lieu le 17 Mars avec la CC 7113; au cours de cette marche la vitesse de 175 km/h fut tenue sur presque tout le parcours, avec une pointe à 184 km/h dans la courbe de Labouheyre.
La tenue de la locomotive fut remarquable; les accélérations au droit du pivot fictif du bogie avant ne dépassèrent jamais 0,12 g, en alignement. A la suite de cette marche, le lendemain le 18, eut lieu un nouveau parcours d'essai à vitesse de 165 km1h, destiné surtout à délimiter les zones où la caténaire devait être améliorée (cette marche comportait un programme de traction tel que des intensités de 600 à 1500 A devaient être tirées au droit des zones critiques de la caténaire).

Il apparut notamment nécessaire de supprimer sur la caténaire les diagonaux des gares de Caudos et Lugos et de rectifier la pente de celle-ci avant et après chaque passage à niveau. Il fut en outre décidé d'interrompre la marche en traction, lors des essais à très grande vitesse, aux PK 73 et non en gare d'Ychoux, de façon à éviter les diagonaux de celle-ci. Au cours de cette marche, la stabilité de la locomotive fut bonne, avec toutefois quelques mouvements de lacet entretenus sur trois ou quatre périodes, notamment au droit des Pk : 55 - 66,6 -73 - 73,5- 76,5- 92 (sortie de courbe de Labouheyre). L'accélération maximum ne dépassa pas 0,12 g.

Des travaux de modification furent effectués à la fois sur la caténaire et sur la voie les samedi 19, dimanche 20 et dans la matinée du lundi 21. D'autre part, les appuis latéraux de la locomotive furent soigneusement dégraissés.
A la suite des marches effectuées les lundi 21 mars après-midi (Vmax. 180) et mardi 22 mars (Vmax. 160), une augmentation des oscillations de lacet se manifesta en différents points de la voie, accompagnée de mouvement de roulis, notamment au droit des kilomètres 66,6 - 73 et 73,5. On releva quelques légers défauts de tracé ou d'écartement auxquels il fut remédié par les services intéressés. Les mercredi 23 et jeudi 24 Mars, seules des marches à vitesse limitée à 110 /120 km/h furent effectuées, pour vérifier une dernière fois les chutes de tension interne des groupes des sous-stations. Dans l'après-midi du 25 mars, la CC 7113 devait effectuer une marche à 210 km/h, destinée à étudier le comportement des différents facteurs en présence : locomotive, voie, pantographes, caténaire. La température extérieure trop élevée (28° à Morcenx) ne permit pas de réaliser entièrement le programme prévu. Elle fit apparaître notamment une déformation importante de la caténaire (Fig. 53et 53 bis) confirmant l'impossibilité de faire des essais à très grande vitesse si les conditions de température restaient aussi défavorables.


Graphique captage
graphique température/captage

En ce qui concerne la tenue de voie de la locomotive, des trains d'oscillations furent encore relevés au droit du kilomètre 66,6 (passage d'un petit pont) et dans la zone des PK 73 et 73,5 mais, néanmoins, l'accélération maximum resta inférieure à 0,15 g. ll est à signaler que, au cours de ces marches, la courbe de Labouheyre ne fut jamais franchie à des vitesses supérieures à 185 km/h, alors que les travaux effectués par le service de la voie autorisaient son franchissement à 220 km/ h !!.-

II. Avec la locomotive CC 7107.

Le vendredi 25 Mars, pour la première fois, la CC 7107 fut mise en ligne avec sa rame carénée. Mais par suite d'un incident, une seule pointe de vitesse à 180km/h fut effectuée, au-delà de Lugos.
La tenue de la locomotive fut remarquable, mais il faut préciser que, dès Licaugas, la vitesse était retombée aux environs de 110 km/h. La marche du vendredi 25 Mars n'ayant pas permis de sonder convenablement cette locomotive, une nouvelle course d'essai eut lieu le samedi 26 Mars après-midi. Une pointe de vitesse à 190 km/h fut effectuée au départ de Lamothe afin de vérifier le tableau de marche établi pour cette locomotive. Aucune remarque particulière : la locomotive CC 7107 avait une tenue en ligne excellente et le captage était bon.

III. - Essai d'investigations sur la locomotive BB 9004.

Nous avons vu qu'il avait été jugé désirable d'effectuer au préalable avec la locomotive BB 9004 un essai à une vitesse du même ordre que celle réalisée à Beaune avec une CC.
Cette marche eut lieu dans la matinée du 26 Mars. Les instructions données au personnel étaient celles prévues pour la marche future, mais avec consigne de limiter la marche en traction aux alentours de 270 km/h, pour vérifier les courbes prétracées de mise en vitesse et de décélération. Au cours de cet essai effectué en utilisant la commande à main de l'appareillage, un nouveau record éphémère fut établi à la vitesse de 276 km/h. Un certain nombre de remarques purent être faites sur le comportement de la locomotive.

A l'approche de 200 km/h, le balancement de la cabine s'accentua légèrement. Vers 250 km/h l'avant de la caisse, suspendu sur les biellettes pendulaires, oscilla dans le vent violent de la marche alors que la tranquillité de la cabine AR était bonne (il est vrai que l'amortisseur transversal était plus serré à l'arrière). La tenue transversale des bogies, observés par les trappes en plexiglass pratiquées dans les planchers de couloirs, ne donna lieu à aucune remarque, et aucun mouvement anormal ni vibration visible entretenue ne se produisirent.

Verticalement, le dispositif de contrôle visuel du cabrage de la boîte AV droite montra une certaine tendance au galop du bogie vers 250 km/h jusqu'à la vitesse maximum atteinte. Le mouvement semblait correspondre à la fréquence propre calculée d'oscillation du bogie (3 par seconde), fréquence qui coïncide d'ailleurs, vers cette plage de vitesse, avec celle des joints de rails. L'amplitude relative boîte-bogie ne semblait pas dépasser 7-8 mm ll n'y avait pas de déplacement vertical notable entre bogie et caisse.

A la visite au retour, toutes les roues portaient un léger sillon circulaire, sensible à l'ongle, dans la zone de raccord entre le profil 1/40e et le boudin; cette zone commence à se creuser au droit de la portée sur bord intérieur du champignon du rail. La roue 3e à droite, dans le sens de marche, présentait 3 sillons au lieu d'un seul. Pas de traces de portée des faces des boudins, autres que les marques fraîches dues aux circulations sur voies du dépôt.

A la suite des constatations faites et en prévision de la vitesse 300 et plus, les dispositions suivantes furent donc prises :
Amortisseur transversal AR. inchangé (Friction 200 kg).
Amortisseur transversal AV serré (ressort doublé friction 400 kg).
Amortisseurs verticaux essieux 2 et 4 serrés (Friction 300 kg).
Amortisseurs verticaux essieux 1 et 3 serrés (ressort double. Friction 400 kg).
Lissoirs déshuilés (le couple acier nitruré sur acier nitruré à surfaces glacées donne un coefficient de frottement de départ égal à celui des mêmes surfaces lubrifiées à l'huile fluide ON1, mais il ne "décroche" pas en mouvement comme dans l'huile en question).

En résumé, toutes les marches réalisées depuis le 17 mars 1955 avaient prouvé que les deux locomotives CC 7107 et BB9004 étaient capables de dépasser les 300 km/h à condition, d'une part, que la température extérieure se prêtât à cette tentative et, d'autre part, que la pointe de vitesse se situât au-delà de Lugos. En outre, pour éviter une détérioration trop rapide du pantographe arrière, il était indispensable de partir de Facture avec le pantographe avant et de ne passer sur pantographe arrière qu'après la courbe de Lamothe, en essayant de faire cette manœuvre à une vitesse aussi élevée que possible.

RESULTATS DES ESSAIS
COMPTE RENDU DES MARCHES DU RECORD
MARCHE DU 28 MARS 1955 AVEC LA LOCOMOTIVE CC 7107

La température s'étant notablement abaissée (14° environ), la décision fut prise de tenter l'essai à vitesse maximum au cours de la marche prévue ce jour-là au départ de Facture à 13 h 25.
Les semelles de pantographes furent renforcées et l'effort statique de pression sur la caténaire réglé à 9 kg pour le pantographe AR. Le pantographe avant, sans déflecteur, réglé à 13 kg, devait capter jusqu'à 110 km/h, de façon à n'utiliser le pantographe arrière que sous la caténaire modifiée. La pointe de vitesse maximum fut atteinte entre les Pk. 67 et 68, où la destruction du pantographe AR nécessita la coupure de l'effort de traction. Le démarrage en gare de Facture et l'échange des pantographes s'étaient effectués normalement. Malheureusement, à la sortie de Lamothe, le passage du sectionnement provoqua un décollement et un arc violent qui endommagea les bandes d'usure du pantographe AR. Le captage, correct jusqu'à 180 km/h, devint rapidement mauvais au-delà et l'on percevait nettement les brusques variations de l'effort de traction en résultant.
Les arcs très violents au droit de chaque support rendaient difficile l'observation aux périscopes. L'éblouissement était tel que l'observateur ne pouvait juger de l'état de semelles qu'une fraction de seconde entre deux supports. Par la suite, une légère amélioration du captage fut constatée entre 250 et 300 km/h. Elle fut suivie d'une brusque aggravation. Les semelles rougissaient et les barres d'usure fondaient par intermittence !!

A 310 km/h, les semelles commençaient à se déformer sous l'effet de la chaleur, les "cornes" devaient se rapprocher dangereusement des antibalançants. La situation était critique, car la vitesse envisagée n'était pas atteinte.
Heureusement la liaison téléphonique avec la cabine de conduite restait excellente. Tenu constamment au courant de la progression de l'essai, l'observateur pouvait permettre l'utilisation du pantographe jusqu'à l'extrême limite.

A 320 km/h une "corne" accrochait un anti-balançant; sectionnée, elle tombait sur la voie. Une forte odeur de caoutchouc brûlé se répandait dans le poste d'observation. S'agissait-il, comme aux essais de survitesse de Belfort, des "silentblocs" des entraînements ou plus simplement des gaines en caoutchouc de raccordement des caisses ?. Dans le doute, la cabine de conduite ne fut pas alertée.
Vers 330 km/h, la semelle AR, puis la semelle AV fondaient, la caténaire portait sur le tube entretoise des roulements, cependant que des débris d'archets retombaient sur la toiture. Demandée à la fois par téléphone et par l'allumage convenu de la lampe rouge, la descente du panto était réalisée en moins d'une seconde.

Pendant toute la période d'accélération, aucun mouvement de lacet ne fut sensible dans la cabine AV de la locomotive. Jamais le moindre bruit ni le plus faible choc ne furent perçus par les occupants de la cabine de conduite. Ce n'était réellement qu'en voyant défiler les ogives supports de caténaire qu'on avait une sensation de vitesse. La coupure du courant de traction ne provoqua aucun mouvement perturbateur et il ne fut pas nécessaire, pour stabiliser la locomotive, de freiner, même légèrement, autrement que par la simple ouverture de toutes les glaces latérales des 3 voitures de la rame, manœuvre dont le but était d'ailleurs uniquement d'accentuer la décélération du convoi.


MARCHE DU 29 MARS 1955 AVEC LA LOCOMOTIVE BB 9OO4

En prévision de l'essai de la 9004, fixé au lendemain matin, il fut décidé de graisser le fil de contact pour diminuer l'échauffement mécanique, de remplacer les barres d'usure en cuivre des pantographes par des barres en acier et d'utiliser le pantographe avant si possible jusqu'à la vitesse de 180 km/h. En prévision d'une ultime utilisation à grande vitesse, ce pantographe fut réglé à 14 kg et l'adjonction d'écrans, un moment envisagée, ne fut pas retenue, pour ne pas augmenter le temps de montée. A 320 km/h, ce pantographe exercerait, sur la caténaire, un effort de 36 kg qui rendrait délicate la descente d'urgence. L'essai précédent avait toutefois montré que l'on pouvait faire confiance aux mesures faites à poste fixe à Modane. Si le pantographe AV était utilisé au maximum de vitesse, on pouvait compter à  la descente sur un décollement d'au moins quarante centimètres et une baisse complète vers 250 km/h. L'utilisation d'un treuil pour la manœuvre ne fut donc pas retenue. La mise en service à grande vitesse du pantographe AV, au lieu et place du pantographe AR censé avarié, restait toutefois une opération très délicate et pleine de risques. Un échange trop long compromettrait définitivement l'essai ; trop court, le contact simultané des 2 pantographes sur la caténaire pourrait entraîner la rupture de cette dernière ou la mise hors service des semelles.

Pour bénéficier de la fraîcheur matinale, l'essai fut fixé à 7 h35 départ de la gare de Facture. Le démarrage et la mise en service du pantographe AR s'effectuèrent normalement. La graisse répandue sur le fil de contact dégageait une épaisse fumée qui gênait l'observation. A 200 km/h, une "corne" se brisait au passage d'un anti-balançant. Tombée sur le bâti, elle fut heureusement retenue à quelques centimètres de la toiture, évitant ainsi l'arrêt de l'essai. Quelques secondes après, les semelles rougissaient, le captage devenait mauvais. Vers 250 km/h, on percevait, par intermittences, la fusion des barres. Des projections de graisse et de métal en fusion maculaient l'oculaire du périscope et rendaient l'observation difficile. Les arcs devenaient de plus en plus violents. A 280 km/h, la fusion des bandes s'intensifiait; les étincelles pénétraient dans le poste d'observation. La destruction imminente du pantographe était signalée à la cabine de conduite. A 290 km/h, les semelles, rouges et fortement incurvées, ce tronçonnèrent au passage d'un support, cependant que l'on manœuvrait pour monter le pantographe AV. L'échange des pantographes, parfaitement réussi, n'entraîna qu'une coupure de courant de quelques secondes. Le captage s'améliora.

Vers 330 km/h, les semelles rougirent à nouveau, mais l'essai était terminé. Le pantographe AV baissé "flotta" quelque temps sans encombre à 50 cm du fil de contact. En ce qui concerne la tenue en ligne de la locomotive BB 9004, les observations suivantes ont pu être effectuées :
Dans l'acheminement à 100 km/h Bordeaux-Facture, le resserrage des amortisseurs se manifesta par la disparition de la douceur habituelle de suspension, mais le passage des joints de rail était nettement moins accusé par le dispositif de contrôle du cabrage que lors de la marche précédente. A l'approche de 200 km/h, la tenue de marche était toujours bonne et régulière.

Le mouvement d'oscillation transversale face au vent n'apparaissait plus et les déplacements verticaux étaient pratiquement inexistants. Par une trappe aménagée dans le couloir de la locomotive, le bogie AV se montrait bien en ligne, sans vibration transversale et il devenait impossible de dire s'il accusait verticalement les joints de rails. Le mouvement pendulaire de la caisse par rapport au bogie était d'amplitude réduite. A vitesse maximum, le but étant atteint, le contrôleur fut ramené à zéro et le pantographe abaissé. On constata alors une rapide et régulière oscillation transversale entretenue, de faible amplitude, qui se substitua dans la cabine AV au balancement pendulaire normal. Il s'agissait d'un mouvement de fréquence 3 environ, comparable au tamis transversal éprouvé souvent, soit avec des bandages creux, soit sur parties de voies resserrées, soit en cas de jeu anormal du guidage. Le bogie subissait une vibration transversale régulière, analogue à celle de la caisse. Au même moment l'observateur "panto" de la première voiture signalait des mouvements accentués de celle-ci.

Ce phénomène paraissant résulter du jeu élastique des attelages lors de la coupure du courant de traction, on a réalisé, comme c'était prévu dans ce cas, un léger freinage de la rame : le mouvement perturbateur cessa alors. La marche se poursuivit jusqu'à Morcenx dans les conditions de stabilité habituelles.


RELEVE DES ENREGISTREMENTS
ENREGISTREMENTS DES VITESSES

Les courbes de vitesses en fonction de l'espace, relevées sur chacune des machines au moyen de l'appareil Flaman, ont été reproduites en tête des figures 56 et 57.

graphiques résultats

Elles sont constituées en réalité par une succession de paliers correspondant au temps d'intégration de l'appareil; mais nous avons préféré, pour faciliter la lecture, remplacer chacun de ceux-ci par un point et réunir ces derniers par une courbe continue. Celle-ci n'a donc qu'une valeur approximative dans les zones de forte accélération, où deux points successifs indiquent des vitesses très différentes. Les temps de parcours réalisés sur chacun des kilomètres précédant la gare d'Ychoux étaient par ailleurs chronométrés automatiquement; la ligne reliant le flash électrique aux pédales placées sur la voie se trouva malheureusement accidentellement coupée au moment de l'arrivée dans cette zone de la CC 7107.

Nous ne disposons, par suite, que des photographies de chronomètres prises lors du passage de la BB 9004 (Fig.49a)
Le tableau ci-dessous montre les vitesses moyennes que l'on peut en déduire.Les courbes de vitesse enregistrées par les appareils Flaman permettent d'effectuer quelques constatations intéressantes.


Image

On peut ainsi mettre en évidence les distances parcourues par chaque rame au-delà d'une certaine vitesse; on trouve les valeurs suivantes : ll est de même intéressant de mettre en évidence les espaces parcourus et les temps écoulés, depuis le départ de Facture, pour atteindre certaines vitesses; ces valeurs sont les suivantes (voir dernier tableau)

ENREGISTREMENT DES GRANDEURS ELECTRIQUES

Les courbes de tension au pantographe, d'intensité et de puissance absorbées par chaque locomotive relevées à bord de chaque rame, (Fig 58 ) ainsi qu'une bande sur laquelle s'inscrivaient les impulsions émises par une horloge (toutes les secondes) et par le compteur d'énergie. Cette bande porte en outre les pointages de PK effectués manuellement à bord des machines, ceux-ci ne pouvant d'ailleurs constituer qu'un repérage approximatif par suite de l'imprécision des réflexes humains. Ces enregistrements, effectués en fonction du temps sur une bande déroulant à la vitesse de 4 mm par seconde environ, ont été transposés en fonction de l'espace et portés sur les figures 56 et 57, avec d'ailleurs une certaine simplification du tracé, qui conserve toutefois les points essentiels.

Les enregistrements réalisés dans les postes et sous-stations n'ont pas été reproduits ici ; ils ne présentent, en effet, que peu d'intérêt par suite de la vitesse insuffisante de déroulement du papier. Nous indiquerons seulement quelques valeurs extrêmes relevées à l'autotransformateur :
- au wattmètre : 11 800 kW le 28 Mars lors de l'essai de la CC 7107. 12750 kW le 29 Mars lors de l'essai de la BB 9004.
- au voltmètre de l'autotransformateur : de 73,5 à 76 kV le 28 et de 73 à 77 kV le 29.

Comparaison avec les résultats escomptés.
Nous avons représenté, sur un même graphique (Fig. 59), pour chaque locomotive, les courbes de vitesses réalisées en ligne (en trait fort) et celles qui avaient été prédéterminées théoriquement (en trait fin). Sur le graphique relatif à la CC 7107,la courbe en trait tirette indique les vitesses théoriques qui auraient pu être atteintes si le rapport d'engrenages avait été réalisé à la valeur idéale de 1,03. Sur le graphique relatif à la BB 9004, la courbe en trait tirette indique les performances qui ont été réalisées le 26 Mars, lors des essais préliminaires. On constate ainsi certaines divergences.

1°) Marche de la CC 7107.

Le démarrage de Facture s'est effectué plus rapidement qu'il n'avait été prévu, car la courbe théorique avait été tracée en limitant l'intensité dans cette zone à 750 A par moteur, valeur suffisante pour atteindre avant Lamothe la vitesse de 110 km/h, limite imposée au passage de la courbe jusqu'au PK 43 (bien que le graphique théorique ait été tracé en supposant la reprise effectuée au PK 43,7). La courbe de vitesse obtenue en pratique, présente ensuite jusqu'à Caudos quelques irrégularités dues à des disjonctions diverses et à des décollements de pantographes :

Image
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-PK 44 : Disjonction de la sous-station au passage de la locomotive sous le sectionnement à lame d'air de la sortie de Lamothe (Les caténaires de cette gare constituent une zone alimentée normalement par un disjoncteur différent de celui qui assure l'alimentation des caténaires de pleine voie).
- PK 45 : Disjonction de la locomotive.
- PK 48,500 et 54 : Disjonction de la sous-station.

Chacune de ces disjonctions eut pour effet immédiat une interruption de l'accélération. Celle du PK 44 fit ainsi perdre le bénéfice d'environ 1 km, qui avait pu être réalisé sur le tracé théorique en effectuant un peu plus tôt la reprise à la sortie de la courbe de Lamothe; le rhéostat de démarrage fut ainsi éliminé à peu près exactement à la vitesse et à l'endroit prévus (165 km/h, PK 45,3). La courbe théorique fut ensuite suivie assez exactement jusqu'au PK 50, où la nouvelle disjonction fit perdre environ 2 km, mais elle put néanmoins être rejointe près de Lugos, où l'obligation de rétrograder sur un cran à shuntage plus réduit fut vérifiée. La marche se déroula alors exactement selon les prévisions jusqu'à la sous-station de Licaugas, où la destruction du pantographe arrière fixa la fin de l'essai.


Courbes de la CC7107
Corbes de la BB9004

On peut se demander à ce sujet pourquoi il ne fut pas alors tenté d'améliorer encore la performance en utilisant le pantographe avant. La raison en est qu'une telle manœuvre eût été inefficace, l'essai devant être interrompu de toute façon au PK 73, soit 5 km plus loin. La décélération à ces vitesses, lorsque le courant est coupé, faisant perdre environ 12 km/h par kilomètre parcouru et l'accélération possible ne permettant, par contre, de rattraper que quelque 3 km/h par km, il aurait fallu, en effet, reprendre le régime normal vers le PK 69, soit environ 11 sec après la destruction du pantographe. Or, la seule montée de celui-ci, machine arrêtée, correspond à cette durée. La vitesse maximum atteinte répondait d'ailleurs au but que l'on s'était fixé à l'origine. Quant à la courbe de décélération relevée, elle est très légèrement plus raide que celle prévue, ce qui s'explique par l'ouverture des fenêtres et par les pertes mécaniques de la transmission, l'abaissement des pantographes compensant d'ailleurs partiellement la chose.


2°) Marche de la locomotive BB 9004.

Il n'est pas possible de comparer la courbe réelle à la courbe théorique. En effet, depuis le départ l'arbre à cames de commande des contacteurs de shuntage était en mauvaise position et toute la marche fut effectuée sur le dernier cran de shuntage. Il faut voir dans cette divergence une conséquence fortuite de la marche à 270 effectuée le samedi 26, au cours de laquelle il avait fallu, par suite d'un mauvais réglage de relais, recourir à la commande à main.

Néanmoins, la courbe de mise en vitesse réelle obtenue lors de l'essai du samedi 26, que nous avons représentée en trait tirette sur la fig. 59 est sensiblement analogue à la courbe prédéterminée théoriquement malgré le décalage des deux tracés. Fort heureusement, au cours de l'essai définitif, nous avons bénéficié d'une alimentation beaucoup plus stable que lors de l'essai effectué avec la CC, ce qui a permis, malgré la baisse d'effort dû au shuntage, en observant les intensités prescrites, de maintenir une accélération constante au cours du démarrage.
Lorsqu'on s'aperçut qu'on était en retard dans la mise en vitesse, on pratiqua des intensités plus élevées que celles prévues; ainsi la courbe théorique semblait pouvoir être rejointe. Vers la fin on se trouvait d'ailleurs dans la même situation de shuntage que dans l'étude.
Le cap des 300 km/h fut ainsi atteint lorsque l'avarie du pantographe stoppa l'accélération. Pour réussir l'essai, il fut décidé immédiatement de relever le pantographe AV. La courbe de tension en fonction du temps de la fig 59 montre qu'il s'écoula fort peu de temps (quelques secondes) entre l'avarie du pantographe arrière et la montée du pantographe avant; l'amortissement du voltmètre enregistreur n'a même pas permis de faire apparaître le manque total de tension. Malheureusement, l'instabilité de la tension ne permit pas au conducteur de repasser ses crans immédiatement, il y eut ainsi au total une interruption de l'effort de traction d'une durée de 30 sec environ, ce qui fit retomber la vitesse aux environs de 280 km/h.
Il fallait alors s'assurer une accélération plus élevée que celle qui avait été prévue pour pouvoir tenter d'égaler avant le PK 73 le record de la CC 7107. Ce supplément d'accélération ne pouvait être obtenu qu'en augmentant l'intensité prévue, ce qui fut tenté avec succès et permit d'atteindre 331 km/h au PK 71,700, mais en prenant jusqu'à 5100 A en pointe (cette valeur a été déduite des enregistrements de puissance et de tension, l'ampèremètre étant limité à 4800 A). La courbe de décélération ne peut être comparée utilement, un léger freinage ayant été exercé sur la rame.

ENREGISTREMENTS DES ACCELERATIONS TRANSVERSALES

La longueur des bandes d'enregistrements indiquant les accélérations transversales nous empêche de les reproduire ici en totalité. Nous en faisons figurer deux extraits (Fig.60). Les valeurs trouvées au cours de l'essai du 28 mars de la locomotive CC 7107 ont été très faibles. Le maximum des accélérations transversales au droit du pivot fictif du bogie ne dépassa jamais 0,065 g, valeur infime correspondant à des efforts très faibles et qui montre combien était remarquable la tenue en ligne de cette machine.


(Fig. 60) Les ordonnées sont proportionnelles aux accélérations, les chiffres indiqués 0-0,10-0,25 sont des fractions de g. Les abscisses sont proportionnelles aux temps, Le temps pendant lequel a été enregistrée chacune des parties des courbes reproduites ci-dessous est d'environ 7,5 secondes, La vitesse est celle de la locomotive ou moment de l'enregistrement.

Courbes d'accélérations transversales

En ce qui concerne la locomotive BB 9004 les accélérations transversales ont été en général faibles, de l'ordre de 0,1 g, sauf au kilomètre 73 après coupure du courant, où l'amplitude des accélérations de la caisse a atteint 0,27 g. L'ordre de grandeur de l'effort transversal maximum exercé par le 2e essieu serait donc, compte tenu des calculs établis lors des essais préliminaires, de 5,5 t alors qu'il était de 3,5 t à 270 km/h lors de l'essai du 26 Mars.


CONSTATATIONS FAITES APRES LES ESSAIS
LA VOIE

Aucune déformation de celle-ci n'a pu être relevée après l'essai effectué par la CC 7107.
Après l'exécution de l'essai fait le 29 Mars 1955 avec la locomotive BB 9004, il a été constaté quelques déformations latérales de la voie sur 500 m environ entre le pk 73 et le pk 73,5.
Ces déformations, d'allure sinueuse, présentant une longueur d'onde uniformément voisine de 22 m, se sont produites vraisemblablement sous, et après, le passage du dernier bogie de la rame. Il est possible que le lacet de la dernière voiture ait été influencé par celui de la machine; mais il faut signaler que les mouvements latéraux de la BB 9004 n'ont pas dépassé, comme nous venons de le voir, une accélération de 0,27 g mesurée dans la caisse de la locomotive, au droit du pivot du bogie avant et que cette accélération est insuffisante par elle-même, compte tenu des caractéristiques de la machine, pour provoquer des efforts donnant une déformation de voie. Quoi qu'il en soit, la locomotive BB 9004 s'est comportée d'une manière tout à fait satisfaisante aux vitesses de l'ordre de 280-300 km/h, vitesses considérablement supérieures à celles réalisées en service, ce qui justifie le choix fait par la S.N.C.F. de ce type de machine plus léger et moins cher que le type CC.


PARTIES MECANIQUES DES LOCOMOTIVES
Sur la CC 7107.

A la visite effectuée à Morcenx puis à Bordeaux, il apparut que seuls, ainsi que les essais au banc l'avaient laissé prévoir, quelques silentblocs des transmissions, côté droit des essieux 1 et 6 dans le sens de la marche, avaient souffert, entraînant une ovalisation des têtes des bielles correspondantes. A noter qu'au cours de la visite avant le départ, un décentrement de l'arbre creux de l'ordre de + ou - 5 mm avait été constaté sur presque tous les essieux, décentrement qu'il était impossible de reprendre. En outre, par suite de la fatigue des plots élastiques, quelques boulons de fixation des moteurs sur les 2 châssis de bogie tournaient librement.

En ce qui concerne l'état des tables de roulement des roues des 6 essieux, quelques stries circulaires étaient visibles, notamment aux roues côté droit des essieux 1 et 3, avec quelques petits cratères, dus au passage du courant, sur presque toutes les roues, Le profil au 1/40e a relativement peu souffert.


Sur la BB 9004.

A la visite sur fosse à Morcenx puis à Bordeaux, aucune anomalie n'apparaissait dans les bogies ; pas de fuite d'huile; la peinture recouvrant la partie visible des silentblocs de la transmission était encore intacte; aucun branlement ni desserrage, aucun échauffement de boîte; les paliers d'engrenage étaient simplement tièdes. La zone de raccord des boudins et du profil au 1/40e s'était encore creusée, les stries circulaires semblaient avoir disparu; pas de discontinuités d'aspect du roulement, en premier examen, mais les faces internes des boudins étaient très fortement marquées par le frottement sur toute la hauteur du flanc à 70° (Fig. 61). ll apparaissait, a priori, avant relevé précis des profils, que les boudins du bogie AR (côté attelage avec la rame) étaient moins marqués qu'à l'AV).


Après l'essai

Sur les pantographes.

Le pantographe avant de la CC, n'ayant été utilisé que sur le parcours Facture-Lamothe, ne présentait aucun signe particulier. L'examen du pantographe arrière (Fig. 62) montrait que le tube entretoise était à moitié sectionné. Une seconde de plus et la caténaire aurait pénétrée à l'intérieur du cadre, rendant impossible la descente. Ce premier essai a donc prouvé que l'on était arrivé, comme c'était prévu, à la limite du captage.

Quant aux pantographes de la BB 9004, leur examen au dépôt démontra que celui AR (Fig. 63) avait été utilisé dans les mêmes limites que celui de la locomotive CC 7107. La fusion des archets était identique.


Pantos de la BB9004

Conséquence des arcs violents provoqués par les décollements au droit de chaque support. Le pantographe avant était en meilleur état, la caténaire ayant bien supporté l'effort de 36 kg. Le captage avait été amélioré par le surcroît de pression (Fig. 64).


MOTEURS DE TRACTION

Les courbes jointes (Fig. 65 et 66) donnent pour chaque locomotive les courbes (1) de la puissance aux jantes en fonction de la vitesse. A titre de comparaison, nous donnons sur les mêmes axes la puissance aux jantes fournie par ces locomotives dans leurs conditions normales d'emploi,(2) c'est-à -dire avec leur rapport d'engrenages habituel, au régime continu des moteurs sous 1500 V. La pointe située un peu au-delà de 5000 CV correspond à la surcharge que l'on admet en service courant au cours des démarrages. Nous avons représenté également sur les 2 graphiques la courbe (3) de puissance à la jante nécessaire pour vaincre uniquement la résistance à l'avancement.


Puissances à la jante des 2 machines

Le supplément de puissance était nécessaire, non seulement pour vaincre la légère rampe, mais surtout pour disposer d'une accélération suffisante, permettant d'atteindre la vitesse maximum sur l'espace dont nous disposions. Ces accélérations étaient, avec la locomotive CC 7107 :
      de 30 cm/s² à 200 km/h.
      de 19 cm/s² à 250
      de 13 cm/s² à 300

Et avec la locomotive BB 9004 :
      de 20 cm/s² à 200 km/h
      de 16 cm/s², à 250
      14 cm/s² à 300 .

Avec les deux locomotives, à la vitesse maximum, l'accélération résiduelle juste avant la coupure du courant atteignait encore 7 cm/s².
On peut également se rendre compte de la qualité du travail fourni par les moteurs en explicitant les valeurs atteintes au cours de ces essais par les paramètres de l'échauffement et de la commutation.

D'une manière générale, les conditions de fonctionnement en ligne diffèrent sensiblement de celles existant en atelier des contraintes supplémentaires apparaissant. Ce fait devait être particulièrement sensible dans le cas des essais à très grande vitesse pour les raisons ci-après :

a) grande vitesse de circulation.

Certes, la vitesse de rotation des moteurs était relativement réduite, ce qui constituait un facteur favorable. Mais la grande vitesse de la locomotive était certainement à l'origine de vibrations de fréquences élevées des différentes parties des moteurs et plus spécialement des organes libres, tels que les balais. En définitive, le fonctionnement en ligne était beaucoup moins "paisible" qu'en atelier.


b) Décollement de pantographes.

L'enregistrement des tensions aux pantographes et l'observation directe du captage ont montré, qu'en ligne, les décollements de pantographes se répétaient avec une fréquence élevée, provoquant des variations de tension très importantes, surtout au début du captage effectué sur la BB avec le pantographe avant non encore stabilisé, variations que ne peuvent montrer les enregistrements par suite de l'inertie des appareils. La variation de couple des moteurs était d'ailleurs perceptible pour des personnes se trouvant à bord des locomotives à chaque passage au droit d'un support de caténaire (une impulsion par seconde au moment du maximum de vitesse). Dans ces conditions, on peut dire que les moteurs ne cessaient de fonctionner en régimes transitoires, régimes qui posent les problèmes les plus difficiles pour des moteurs de traction. A ce sujet, il convient de remarquer que :
- les décollements de pantographes se traduisaient par des variations d'intensité et de tension, mais sans coupure complète;
- eu égard aux intensités importantes absorbées et aux taux d'excitation réalisés, les shunts inductifs des deux types de moteurs travaillaient dans la zone de saturation et, de ce fait, leur inductance propre perdait environ de 50 à 60 % de sa valeur, pour des régimes normaux. Ces shunts perdaient donc l'essentiel de leurs propriétés consistant à maintenir l'équilibre de la répartition, en régime transitoire, entre inducteurs shuntés et circuits de shuntage. Pour les moteurs TA 621B l'enroulement de compensation devait corriger les conséquences de la saturation des shunts inductifs.

Pour les moteurs SW 4326, simples moteurs tétra polaires non compensés, il n'en allait pas de même et les conditions existantes étaient tout spécialement dangereuses.

Les deux tableaux ci-dessous après montrent les constatations qui ont pu être faites sur les moteurs, les essais, à l'occasion d'une visite minutieuse.

Etat des moteurs de la CC7107

CONCLUSION : Excellent état des 6 moteurs, sur lesquels on ne peut constater aucune répercussion des dures contraintes qui leur ont été imposées.

Etat des moteurs de la BB9004

CONCLUSION : Les organes des 4 moteurs sont dans un état de fraîcheur remarquable

INSTALLATIONS FIXES D'ALIMENTATION

Aucune détérioration des caténaires ne s'est produite au cours des essais, à l'exception de la rupture de quelques anti-balançants, provoquée par les pantographes des deux locomotives. Aucun incident ne s'est produit sur le matériel des sous-stations. Mais la protection de terre de l'autotransformateur fonctionna plusieurs fois, sans motif, au cours de l'essai de la CC 7107. Pour éviter tout nouveau déclenchement intempestif, il fut alors décidé d'en paralyser l'action, tout en surveillant son fonctionnement à titre d'alarme. Plusieurs déclenchements à retour du groupe mobile de Lamothe furent également enregistrés; ils se produisirent en même temps qu'un fonctionnement du relais de terre de l'autotransformateur. ll faut qu'on sache que si nous avions accepté sciemment certains risques en réglant les protections assez haut, ou même en les paralysant, nous conservions néanmoins une sécurité obtenue comme il suit :
1) Les liaisons radio et téléphoniques étaient bonnes et surtout rapides; la machine était reliée par radio directement avec Licaugas, et cette sous-station avait trois liaisons par fil avec Lamothe (circuit 1500 V, circuit 60 kV, circuit du dispatching exploitation).
2) Le Chef de Section électrique de Bordeaux, qui avait suivi tous les essais déjà effectués sur cette ligne, se tenait en surveillance devant les appareils de Lamothe (voltmètre et wattmètre de l'autotransformateur, voltmètre et ampèremètre du groupe redresseur). Ayant eu, en outre, connaissance des courbes d'intensité prévues, il était donc en mesure de distinguer un défaut du régime normal escompté et pouvait, le cas échéant, couper tout courant sur la zone d'essai, tant sur les installations 60 kV que sur celles à 1500 volts; il lui suffisait en effet de déclencher le disjoncteur de l'autotransformateur.


CONCLUSION

Nous avons opéré avec un matériel pratiquement de série, aucune modification n'a altéré en quoi que ce soit le principe même, la conception initiale, des 2 locomotives. La seule modification importante a été, je le rappelle, celle du changement de rapport d'engrenages. Nous n'avons donc pas tout bouleversé pour réaliser 2 locomotives "phénomènes" . La CC 7107 aurait pu être l'une quelconque des locomotives de la série importante qui a été livrée, la BB pourrait être choisie dans la série qui vient d'être commandée. Notre long travail préliminaire a eu seulement pour but d'une part le choix des paramètres grâce auxquels "le matériel de série" serait placé dans des conditions qui lui permettent d'accomplir la performance exceptionnelle qu'on attendait de lui, d'autre part, de procéder, une fois ces conditions fixées, aux vérifications indispensables avant les essais proprement dits. Par suite, les faits suivants doivent retenir l'attention.
      1) La conquête définitive et totale du domaine de la grande vitesse par les locomotives à adhérence totale;
      2) L'homogénéité d'établissement des locomotives de la S.N.C.F., puisque CC et BB ont réalisé la même performance, c'est-à -dire qu'elles ont surpassé leurs conditions réelles d'emploi de la même quantité;
      3) L'énorme marge de sécurité du matériel français.

Déjà à 243 km/h beaucoup avaient estimé, à juste titre d'ailleurs, que le coefficient de sécurité était considérable. Que dire maintenant que le cap des 300 km/h a été largement dépassé ?
Ces marges sont-elles trop considérables ? Nous ne le pensons pas, car ce sont elles qui permettent de réaliser le service avec un entretien exceptionnellement réduit. Il faut en effet savoir que les locomotives type 7100 et BB 9000 roulent 600 000 km avant d'entrer dans un atelier de réparation, les visites normales se bornant à un examen mensuel. Par ailleurs, le prix de la bonne locomotive est pratiquement le même que celui de la médiocre; la qualité est affaire de conception. Ces faits indiscutables sont tout à l'honneur de notre industrie car, je le rappelle, la 7107 et la 9004 sont de conception et de réalisation françaises.
La plus belle preuve de confiance que nous avons donnée à nos industriels, c'est que nous avons exclusivement choisi leur matériel pour réaliser ces essais exceptionnels. Il faut une grande estime et une estime raisonnée dans des moteurs et dans une partie mécanique pour se lancer à plus de 300 km/h. Les performances réalisées prouvent, outre ces très hautes qualités techniques et de réalisation, la très grande conscience de nos constructeurs. Quand nos industriels disent : "cette locomotive est capable d'une vitesse maximum en service de 140km/h", c'est qu'elle peut soutenir indéfiniment cette vitesse chaque jour sans aucune gêne, pourrait-on dire, sans fatigue.

Ils ne considèrent pas que le maximum qu'ils garantissent est une vitesse de pointe à ne réaliser que rarement. Leurs bureaux d'études ne prennent pas de liberté avec les coefficients de survitesse imposés par les règles internationales. Nous ne connaissons pas dans le monde de machines qui, vendues pour une vitesse maximum de 140 km/ h, soient capables, comme toutes les CC type 7100, de réaliser à tout moment de leur existence des vitesses de 230 à 240 km/h.

Nous pouvons dire que lorsque la puissance d'un moteur de ces machines est annoncée pour une valeur P, cela signifie qu'on peut lui demander cette puissance d'une manière permanente. Les constructeurs n'escomptent pas qu'on les utilisera en fait P /2 ou P /3
La puissance P correspond à de vrais chevaux, des chevaux capables de surcharges importantes. En bref les moteurs des locomotives 7107 et 9004 ont fourni 3 P au cours des essais. De plus, ces chevaux on les a à la vitesse où ils sont le plus utiles, à vitesse maximum. Combien de locomotives ne voit-on pas qui offrent à grande vitesse une puissance très inférieure à celle de la vitesse où elles sont définies et à laquelle précisément elle est sans intérêt parce qu'inutilisable. Je ne pense pas pour ma part qu'il y ait dans le monde beaucoup de locomotives présentant d'aussi larges marges de sécurité que les machines françaises CC et BB dont nous venons de parler. Les transmissions d'effort moteur aux essieux Alsthom et Jacquemin ont montré encore une fois toutes leurs exceptionnelles valeurs, car le travail qui leur était demandé était réellement impressionnant, du fait notamment des désaxements considérables imposés par la très grande vitesse.

Comment ne pas mettre aussi l'accent sur le comportement remarquable des boîtes Athermos, strictement de série. Si les pantographes Faiveley ont beaucoup souffert durant les essais, ils n'en méritent pas moins beaucoup d'éloges. Ce sont eux qui ont été à la base de la réussite; ce qu'on leur demandait était, en fait, une tâche impossible; ils ont répondu à tous nos espoirs en nous permettant, en captant avec un seul pantographe sur un seul fil de contact, plus de 5000 A en pointe à très grande vitesse, d'atteindre le but que nous tous étions fixé. Nous devons donc rendre grâces à ces valeureux serviteurs qui se sont sacrifiés.

Mais, en fait, il faudrait citer chaque partie de nos locomotives.
Celles-ci ne sont d'ailleurs pas seules à mériter des compliments et on ne peut que louer les services de la "Voie" , qui ont simplement mis à notre disposition la "voie française" de toutes les grandes artères. Une telle homogénéité dans la qualité, qu'on fasse des essais sur Beaune, dans les Landes, ou partout ailleurs, doit être spécialement signalée.
Comment ne pas aussi citer les mérites de toutes ces vieilles sous-stations et installations d'alimentation, qui ont été soumises à un régime de tension et de courant que l'on n'avait à coup sûr, jamais imaginé pour elles. Mais il n'est pas douteux que nous sommes arrivés aux limites de vitesse que nous pouvons obtenir avec le matériel mis en oeuvre. Nous voulions pousser jusqu'à l'extrême limite, nous savions que les essais seraient difficiles, je puis assurer que de ce côté nous n'avons été déçus en aucune manière : les essais ont été en effet difficiles.

Jusqu'à 280, voire 300 km/h, tout va bien, à condition cependant de foncer dès le départ, car chaque seconde perdue l'est irrémédiablement : il n'y a aucune possibilité de se rattraper, puisque tout doit être terminé à un point kilométrique immuable, et les secondes représentent beaucoup de mètres à très grande vitesse. A partir de 300 km/h il semble que le problème change d'aspect: les 30 derniers kilomètres ont été une rude épreuve à subir. Ce record n'aura pas été vain et si nous avons été aussi loin c'est pour mieux connaître ce que nous devons faire en matière de construction. L'essai a fourni de nombreux enseignements et nous sommes certains de faire mieux dans l'avenir. Non que notre ambition soit d'aller plus vite encore; le mieux consistera pour nous à établir des locomotives équivalentes à celles des essais, mais moins lourdes, toujours plus simples, donc moins chères.

Je tiens à terminer en évoquant le côté humain de ce record. Déjà depuis près d'un an toute une équipe travaillait dans la foi la plus totale pour préparer les essais; cette équipe comprenait des constructeurs et des cheminots. Mais que dire de l'atmosphère des jours qui ont précédé les essais et de celle des essais eux-mêmes. Chacun a donné le meilleur de lui-même, tout son enthousiasme, toute sa volonté. J'avais peine à reconnaître nos dessinateurs dans les fosses de visite du dépôt de Bordeaux ou sur les toits des locomotives, vérifiant, réglant avec leurs camarades des services actifs. J'ai vu le chef monteur de la CC 7107 aider à passer des câbles sur la BB 9004 !!. Il n'y avait aucune distinction de grades et d'origine entre tous ceux qui s'affairaient autour des machines. Nous avions tous le désir d'une réussite totale pour le prestige de nos chemins de fer, de notre industrie et de notre Pays. Et pour bien montrer qu'à la S.N.C.F. l'esprit d'équipe va jusqu'aux plus hauts sommets de la hiérarchie, M. Parmentier, Directeur du Matériel et de la Traction, a tenu à assister personnellement sur les locomotives aux deux marches records. Tous les acteurs des essais en ont été profondément touchés (1).

(1) La S.N.C.F. a reçu des félicitations du Ministre des Travaux Publics, des Transports et du Tourisme et du Président de la République. Le Directeur général de la S.N.C.F. a, dans un ordre du jour, transmis ces félicitations au personnel.

Images rajoutées :
biffurcation arcachon
Lamothe, la rame d'essai BB9004 à la bifurcation pour Arcachon
la 9004 en course
La BB9004 en piste
images issues du site :http://reseau-train-ho-de-paquito40.e-monsite.com/pages/la-compagnie-du-midi/bordeaux-dax.html

D'après document D.E.T.E. 1955-742
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