Division dont j'ai croisé le destin pendant trop peu de temps, malheureusement (5 ans), en plus à une période idéale, où l'électronique commençait à s'insinuer partout, y compris dans les circuits de puissance. Une vraie révolution. C'est pour cela, que ce que je peux dire ici, ne concerne que mes impressions, et en plus, sur une durée relativement réduite, et il y a longtemps. Comment définir la DETE de l'époque (1967..72) ?
Ruche pleine de "grosses têtes" qui ne se prenaient jamais trop au sérieux, tous passionnés du chemin de fer,. Ceux que j'ai personnellement connus, une poignée d'un vingtaine, sont à l'origine de trucs fantastiques, TGV, locomotives à hacheur (7200), de l'électronique embarquée, etc. Le rôle de la DETE est assez vaste.
Un autre domaine d'activité est la publication des résultats obtenus, sous forme de notes internes SNCF, de communications aux revues spécialisées, de cours donnés dans les grandes écoles. Par exemple, j'ai encore un cours sur les redresseurs et transformateurs de puissance signé Fernand Nouvion, pour l'Ecole Supérieure d'Electricité (Supelec pour les intimes). Nombre de publications signées André Cossié ont alimenté des revues telles que la Revue Générale d'Electricité, ou même des documents à usage interne, destinés aux techniciens de la SNCF, car il n'en existe pas seulement dans les services d'études. En arrivant, j'ai eu à m'occuper des tout premiers équipements
électroniques embarqués :
Autre exemple, l'alimentation de ces systèmes étaient
assuré par la batterie de la machine (72V).
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![]() Chaque module est un amplificateur opérationnel, en composants discrets. |
Puis ce fut la Vitesse Imposée, alors en expérimentation
sur les Z 6100 de la Région Nord. Système réalisé
par la société suisse Sécheron. Le principe en est
simple : le conducteur affiche une vitesse souhaitée, et la machine
s'arrange pour la maintenir.
Outre les problèmes techniques, le plus difficile fut de convaincre les conducteurs de l'époque. Pas facile. La plupart étaient des anciens et "n'avaient besoin de personne pour tenir une vitesse et faire l'heure". Qu'est-ce qu'on a pas entendu comme quolibets, chaque fois qu'on faisait des accompagnements. "Tiens v'là les bricolos", "salut la cybernetique.." j'en passe et des moins cordiales... C'était le tout début de l'électronique active. Des tas de problèmes nouveaux apparaissaient : Les températures, la poussière, les surtensions, les comportements humains... Et pourtant, la "vitesse imposée" (VI) équipe maintenant toutes les machines modernes... Et à l'époque, les circuits intégrés montraient seulement le bout de leur nez. Tous les dispositifs étaient constitués de composants discrets, c'est-à-dire transistors, résistances et condensateurs. Le premier amplificateur opérationel intégré que j'ai reçu (uA709 pour les connaisseurs), a fait l'admiration de tout le monde. Comment cette petite chose, grosse comme un transistor remplace un bloc complet?! Puis, la technologie embarquée a fait des avancées fulgurantes, justement grâce à l'apparition de ces curieuses petites bestioles que sont les circuits intégrés, qui ont permis des réalisations beaucoup plus complexes, à cause de leur faible encombrement et de leurs performances. En quelques mois, des ensembles aussi complexes que la conduite automatique sont devenus possibles. |
Cette autre voie d'exploration à laquelle j'ai participé, fut la "conduite optimisée", ou encore conduite automatique. Il s'agissait de régler automatiquement la marche des rames de banlieue Z 5300, afin qu'elles soient dans une fourchette de 10 secondes sur l'horaire théorique, à l'entrée du "trou" d'Austerlitz (entrée de la gare souterraine). Là aussi, des souvenirs épiques m'assaillent encore. Je travaillais sur ce sujet avec les gens du service le la Recherche, Germain Monfraix et M. Autruffe. Nous avions à disposition 2 conducteurs, Robert et Lucien (ils se reconnaitront peut-être) et trois rames avaient été équipées ; Z 5356, 57 et 58. On partait de Brétigny en général, et marche commerciale jusqu'à Austerlitz. C'était un embryon d'ordinateur, (armoire de 2m de haut) dont la mémoire était constituée de deux bandes de papier perforé (il en a fait des trous le Germain !). Sur ces bandes, figurait le profile de la voie, les horaires, et les fenètres de balise d'arrêt. Ces balises étaient disposées le long de la voie, à 1800m et quelques du point d'arrêt en gare. La machine captait la balise, et calculait la courbe de freinage, en fonction de la réaction de la rame aux coups de freins.
Il fallait faire moins d'un mètre en plus ou en moins du point
d'arrêt théorique, matérialisé sur le quai par
un trait de peinture.
La conduite était simple : L'initialisation se faisait à la gare de départ, par un numéro, selon la marche, composé sur un cadran téléphonique (!). A chaque gare, au "ding" du chef de train, le conducteur donnait une impulsion sur le bouton de départ, et la rame démarrait, prenait sa vitesse de croisière, dépendante de l'heure, de la tension en ligne, la charge etc.. La prise en compte de la balise de freinage de la gare suivante était affichée par un voyant en cabine, à charge au conducteur, de surveiller cet état de fait. Puis la rame freinait seule, suivant une courbe calculée au fur et à mesure, pour s'arréter exactement. En général, cela marchait bien. Un jour, nous avions à bord une délégation de je ne sais plus quel pays (on a vu défilé pratiquement le monde entier) pour une démonstration. Départ comme d'habitude de Brétigny, retard au départ de Choisy, puis normal. Les pendules de la gare d'Austerlitz étaient encore des modèles à volets basculants. On devait arriver à austerlitz, à 14h01.
Des annecdotes autour de ces trois machines (Z5356, 57 et 58), il y en a des tas. On ne peut pas les raconter toutes, Il y faudrait un bouquin entier. Ce furent des moments formidables, même quand il fallait faire des modifications sur l'électronique, accroupi dans le fourgon à bagages de la Z, lancée à 120 km/h. (Comme plan de travail, il y a mieux !...) pendant la marche aller. Il s'est tissé une complicité et une amitié hors du commun, entre des gars de la conduite ( Robert et Lulu), de la Recherche (Germain) et moi-même. Nous avons passé des moments fantastiques ensemble, sans trop s'occuper des heures.. |
"qu'est-ce que ces différentielles font là ? personne ne
va rien comprendre. Si tu y tiens, mets les en annexes...".
Bon, refonte du papier... J'avais oublié que ce document devait aller dans les dépôts et ateliers. Ces deux personnages, Mr Cossié et Mr Desmadryl furent d'excellents vulgarisateurs de techniques complètement nouvelles, et j'ai appris beaucoup de choses dans ce domaine à leur contact. A force de trainer nos guêtres un peu partout, c'est là que j'ai connu les derniers "pieds fins", ces conducteurs qui connaissaient une ligne par coeur, et vous faisaient un Paris-Lyon à la seconde près, en rattrapant du retard si nécessaire, et en se maintenant exactement à la vitesse, par une connaissance incroyable de la ligne. "Là tu coupes, t'as une déclivité", "remets le jus, une rampe dans 500 m". Tout cela sur des becannes (CC 7100, ou 2D2 9100) encore équipées du compteur de consommation (et oui, il y avait des primes d'énergie et de rattrapage de retard). Qui était Mr Nouvion ?
Son adjoint, Mr Cossié, André pour nous autres,
est un cheminot dans l'âme, qui ne vivait que pour le chemin
de fer. Il prenait son repos et sa détente dans une cabine de conduite.
Un jour, encore une démo, avec je ne sais quel personnage officiel, de la pré-annonce du coté de Vierzon, avec une machine Capitole. J'étais en cabine, avec tout ce beau monde, dans un petit coin. Ca semblait se passer pas mal, mais d'un coup, je vois Fernand (Nouvion) se tourner vers moi, et me dire discrètement "Ca merde, va voir si tu trouves quelque chose". Je m'éclipse dans le ventre de la machine, et j'ai fini le trajet, assis sur le compresseur, tenant enfoncé une des cartes de l'électronique, qui avait perdu son verrouillage mécanique. Je pense que tous les gars que j'ai connu doivent avoir des histoires
semblables par milliers.
Il y avait aussi les jours de tristesse et de deuil. Heureusement, je
n'en ai vécu qu'un seul.
![]() Même ces évenements dramatiques ont eu des cotés positifs. C'est pour palier à ce genre de chocs, que la structure des machines a évoluée, avec structure en poutrelles croisillonnée et bouclier à l'avant. C'est la différence fondamentale entre les philosophies automobile et ferroviaire : Dans la première, les véhicules doivent absorber le choc par déformation, alors qu'une locomotive doit plutôt se comporter comme un bélier et dégager ce qui se trouve devant, en ayant le moins de casse pour elle-même, et tant pis pour l'intrus qui n'avait rien à faire là... Si cette politique avait été admise plus tôt, quelques conducteurs de plus auraient connus la retraite, mais c'est l'expérience qui fait évoluer les connaissances. Un dernier exemple qui illustre ce fait : lors d'un tamponnement, en 1962, entre une BB 20100 et comme d'hab. un camion, le conducteur avait réussi à s'échapper dans l'autre cabine, mais la cabine qui a percuté a été écrasée, et le conducteur est mort asphyxié. C'était un camion de farine... Malgré tout, tous les essais que l'on a pu faire, même
négatifs, ont fait progressé la technique et la technologie,
pour arriver aux machines modernes, et ce n'est pas fini...
![]()
Tous ces braves gens se réunissent aux environs de la date anniversaire du record de 1955 (enfin,
ce qu'il en reste), et ce fût, pour moi un indicible plaisir de les retrouver, après plus de trente ans
(et grâce à internet !) et de constater que leur enthousiasme et leur vivacité d'esprit ne
s'est pas émoussé d'un poil.
B. Parent |
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