Cette autre voie d'exploration à laquelle j'ai participé,
fut la "conduite optimisée", ou encore conduite automatique. Cette équipement faisait partie d'une vaste étude
sur l'automatisme appliqué au chemin de fer. ( Voir un article de la Vie du Rail de 1969.)
Il s'agissait de régler automatiquement la marche des rames de banlieue
Z 5300, afin qu'elles soient dans une fourchette de 10 secondes sur l'horaire
théorique, à l'entrée du "trou" d'Austerlitz (entrée
de la gare souterraine). Là aussi, des souvenirs épiques
m'assaillent encore. Je travaillais sur ce sujet avec les gens du service
le la Recherche, Germain Monfraix et M. Autruffe. Nous avions à
disposition 2 conducteurs, Robert et Lucien (ils se reconnaitront peut-être)
et trois rames avaient été équipées ; Z 5356, 57 et 58.
On partait généralement de Brétigny, en marche commerciale
jusqu'à Austerlitz. C'était un embryon d'ordinateur, (armoire
de 2m de haut) dont la mémoire était constituée de deux bandes de papier
perforé (il en a fait des trous le Germain !). Sur ces bandes,
figurait le profile de la voie, les horaires, et les fenètres de balise d'arrêt.
Ces balises
étaient disposées le long de la voie, à 1800m et quelques
du point d'arrêt en gare. La machine captait la balise, calculait
la courbe de freinage, et agissait sur la commande de frein, en fonction de la réaction de la rame.
M. Autruffe présente une balise de freinage. Les mains dans les poches,
c'est Robert, un de nos conducteurs
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Un arrêt réussi, on aperçoit le trait blanc sur le quai à hauteur des tampons.
Démonstration en gare des Brotteaux à Lyon
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(photos SNCF)
Il fallait faire moins d'un mètre en plus ou en moins du point
d'arrêt théorique, matérialisé sur le quai par
un trait de peinture.
La conduite était simple :
L'initialisation se faisait à la gare de départ, par
un numéro, selon la marche, composé sur un cadran téléphonique
(C'était à l'époque le moyen le plus simple d'envoyer des chiffres à un système !)
A chaque gare, au "ding" du chef de train, le conducteur donnait une
impulsion sur le bouton de départ, et la rame démarrait,
prenait sa vitesse selon les données enregistrées, modifiée par un calcul tenant compte de l'heure, de
la tension en ligne, de la charge etc.. La prise en compte de la balise de freinage de
la gare suivante était affichée par un voyant en cabine,
à charge au conducteur, de surveiller cet état de fait. Puis
la rame freinait seule, suivant une courbe en permanence calculée, pour s'arréter exactement.
En général, cela marchait bien.
Un jour, nous avions
à bord une délégation de je ne sais plus quel pays
(on a vu défilé pratiquement le monde entier) pour une démonstration.
Départ comme d'habitude de Brétigny, retard au départ
de Choisy, puis normal.
Les pendules de la gare d'Austerlitz étaient
encore des modèles à volets basculants.
On devait arriver à austerlitz, à 14h01.
Le bloc électronique de la conduite optimisée
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On arrive au début du quai,
la pendule affichait 14h00, le temps de terminer la course, nos visiteurs
ont eu l'impression que la fin du freinage, l'instant où on a une
sorte de recul, avait fait basculer la pendule : 14h01 au dixième
de seconde près. D'ailleurs, un personnage, qui parlait un peu français
me dit en souriant "Fantastique, vous pouvez régler les horloges !", tellement la précision
de l'arrêt avait été impressionnante. (coup de veine,
il faut bien le dire, car en géneral, on tenait les 10 secondes,
mais pas plus) .
Et parfois, ça marchait moins bien:
Un jour, Robert était aux commandes. On arrive à Austerlitz,
comme toujours, balise enregistrée, un peu vite quand même.
Et Robert "t'inquiète pas, elle va freiner". Au milieu du quai,
toujours rien. Alors là, panique et champignon du serrage d'urgence. Trop tard, le
carré du bout du quai emmanché de 10m. pétards etc..
Il a fallu s'expliquer... Heureusement, marche d'essai,
pas de clients à bord, on s'en est sorti sans casse, mais les gars
du PC d'austerlitz ne rigolaient pas, eux...
Sur une autre démonstration, marche spéciale Paris-Melun (gare de Lyon), ligne inhabituelle,
puisque notre terrain de jeux était Austerlitz. Germain avait constitué
la bande sur documents, sans essais préalables. Cette fois, nous
avions à bord un ministre (des transports sûrement, mais quand
on est jeune, ils sont tous pareils). La Z 5356 en gare de Lyon, vérifiée
et re-vérifiée, sous tension depuis plus d'une heure, tout
impeccable.
Nos gens arrivent, escortés par M. Autruffe, patron du service
de la Recherche, présentation du matériel, "Ah c'est bien!"
Installation en cabine. Heure de départ. Le chef de gare (il y en
avait encore) brandit son drapeau, et le conducteur (c'était Lucien) actionne
le bouton de départ.
Je suis devant l'appareillage, avec
Germain, à surveiller le fonctionnement.
Et voilà la bande "profil" qui s'éclate joyeusement, et sort de
ses rouleaux.
La machine non contrôlée fait un bon en avant,
puis se plante. Et Lucien, à 100 mètres et sans liaisons avec nous, ne perd
pas son sans-froid, "tiens, un hoquet de l'électronique", dit-il et de
pousser discrètement le manipulateur du tableau de bord. Ca demarre,
et nous derrière, sur une marche que l'on n'avait jamais effectuée, sortir
rouleau de scotch, le graphique du profil, recoller tout ça, resynchroniser en fonction des PK le long de la voie,
et passé Bercy, le voyant rouge en cabine de non-fonctionnement
s'éteint, Lucien comprend tout de suite, passe en automatique, et
le fonctionnement normal reprend son cours et corrige. Melun pile poil à
l'heure, et personne n'a rien vu (sauf M. Autruffe évidemment).
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Des anecdotes autour de ces trois machines (Z5356, 57 et 58), il y
en a des tas. On ne peut pas les raconter toutes, Il y faudrait un bouquin
entier.
Ce furent des moments formidables, même quand il fallait
faire des modifications sur l'électronique, accroupi dans le fourgon
à bagages de la Z, lancée à 120 km/h. (Comme plan de travail,
j'ai connu mieux !...) pendant la marche aller.
Il s'est tissé une complicité et une amitié hors
du commun, entre des gars de la conduite ( Robert et Lulu), de la Recherche
(Germain) et moi-même.
Nous avons passé des moments fantastiques ensemble, sans trop
s'occuper des heures..
Et parallèlement sous la direction de M. Cossié on travaillait sur un projet C03...
Je me souviens des essais du "hachoir" (600 kW), comme on l'appelait à
l'époque, précurseur des BB7200, sur les Z4001 et 2,
complètement trafiquées, le filtre d'un coté, les thyristors
de l'autre, avant même le celèbre tandem 9200-20002. En 1969-70,
faire passer le courant de traction dans des thyristors, avec une tension
d'alimentation de 1500V, il fallait vraiment oser. L'ingénieur qui
s'occupait de ces essais entre Bretigny et Dourdan, y passait le plus clair de son temps, avec les ingénieurs d'Alsthom...
C'est de ces études et essais que sont issues les BB 7200. On part d'une
idée, d'une théorie, pour arriver, après nombre d'adaptations et de modifications, à un produit fini,
et quel produit !!
La note d'André Cossié sur les essais de hacheur
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C'est à cette époque, qu'est entré en service commercial
le premier hacheur à thyristors sous 1500 V, beaucoup plus simple que le précédent.
Il s'agissait du convertisseur
pour les batteries et le freinage rhéostatique des CC21000, puis 6500.
Petite puissance, mais grande nouveauté !... J'avais été chargé à l'époque d'établir
le document descriptif de ce système.
Quand j'ai présenté
mon document à Mr Desmadryl, il m'a renvoyé dans les cordes : "qu'est-ce que ces différentielles font là ? personne ne
va rien comprendre. Si tu y tiens, mets les en annexes...".
Bon, refonte du papier... J'avais oublié que ce document devait aller dans les
dépôts et ateliers.
Ces deux personnages, Mr Cossié et Mr Desmadryl furent d'excellents vulgarisateurs
de techniques complètement nouvelles, et j'ai appris beaucoup de choses
dans ce domaine à leur contact.
Descriptif du convertisseur continu-continu
C'est en faisant des accompagnements de contrôle un peu partout,
que j'ai connu les derniers "pieds fins", ces conducteurs qui connaissaient
une ligne par coeur, et vous faisaient un Paris-Lyon à la
seconde près, en rattrappant du retard si nécessaire, et en se maintenant exactement à la vitesse, par
une connaissance incroyable de la ligne. "Là tu coupes, t'as une
déclivité", "remets le jus, une rampe dans 500 m". Tout cela
sur des becannes (CC 7100, ou 2D2 9100) encore équipées du
compteur de consommation (et oui, il y avait des primes d'énergie
et de rattrapage de retard).
Et parallèlement sous la direction de M. Cossié on travaillait sur un projet C03...
Qui était Mr Nouvion, le patron de la DETE ?
Je ne veux pas exposer son pédigré.
Plutôt une anecdote qui met en lumière l'aspect humain du Monsieur.
Quand j'ai été muté des ateliers
d'Oullins-Machines à la DETE, à ma prise de service, j'ai d'abord été reçu par Mr Nouvion,
dans son bureau. Il m'a demandé d'où
je venais, qui j'étais, etc.. et m'a expliqué ce qu'était
la DETE, et que de toutes façons, je verrai bien. Puis il me demande
comment je m'installe à Paris, fraichement débarqué
de ma province.
Pour l'instant, je suis à l'hotel, mais j'arrive...
Et il me remet entre les mains de Mr Claude Desmadryl, qui sera mon chef
de service.
Environ deux mois plus tard, je le croise dans l'escalier
principal de la DETE. Je le salue, comme il se doit. Il m'arrête,
et me demande comment je trouve le boulot, si cela me plait.
Sans que j'ai eu le temps de répondre, de but en blanc, il me
sort
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présentation de la CC21001 dans la cour de la DETE. Vous les voyez, tous ces ingénieurs,
grimpés sur le toit de la machine, ou à quatre pattes, à ausculter les boggies.
Pas peur de se salir les mains...
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" T'as réussi à te loger correctement ? ".
Je lui raconte que je suis en train d'explorer les agences immobilières, et que
j'ai repéré deux ou trois choses intéressantes,
alors il me réplique que si j'ai besoin de temps pour aller visiter,
il suffit d'en informer Mr Desmadryl, et que la SNCF cautionne des prêts
pour ses agents.
"t'as qu'à aller voir Mme Chatel au secrétariat,
elle te donnera ce qu'il faut".
Et le voilà reparti en direction
de son bureau.
J'en suis resté comme "deux ronds de flanc", comme on dit chez
nous. Qu'un monsieur si occupé ai pu se rappeler, d'abord
qui j'étais, après m'avoir vu pendant 1/4 d'heure il y a
deux mois, et se préoccupe de mon installation dans ma nouvelle
vie, m'a franchement laissé pantois.
Son adjoint, Mr Cossié, André pour nous autres,
est un cheminot dans l'âme, qui ne vivait que pour le chemin
de fer. Il prenait son repos et sa détente dans une cabine de conduite.
(il était aussi dans la cabine du TGV lors du record de 1981)
C'est lui qui est à l'origine des BB15000 entre autres, mais
celles-ci furent ses enfants chéries.
Il me souvient, un week-end,
d'être allé rendre visite à de la famille à Strasbourg, avec mon épouse.
Le dimanche soir, retour par le "Kleber", rapide Strasbourg-Paris,
tracté ce soir là par une 15000.
J'étais dans une des premières voitures, tranquille,
comme tout voyageur, lorsque soudain, coup de frein, choc et étincelles.
Arrêt d'urgence.
Cette machine nouvelle était un peu le bébé de la DETE, et je faisais partie de la DETE.
Je me présente donc au conducteur et lui demande ce qui se passe. Il m'explique qu'il est passé sur quelque
chose, mais à 160, dans la nuit, il ne l'a vu qu'au dernier moment.
Pendant qu'il téléphone au PC, je remonte la rame, et arrive
au corps du délit. Il s'agissait d'un porte coulissante de wagon
style frigo, blanche, incrustée entre les deux rails. La BB l'avait
mise aux dimensions règlementaires, cisaillée proprement à 1,40m de large, le reste
éparpillé en dehors de la voie. Je reviens expliquer
ce que j'ai vu au conducteur qui informe le PC. Un tour rapide
de la machine, pas de casse apparente, je préviens mon épouse,
et reste en cabine avec le conducteur ravi d'avoir un témoin du bureau d'étude à ses cotés.
Arrivé à Nancy, on rattrape l'express précedent,
qui lui s'était pris la porte en question, sur ses deux dernières voitures.
Frayeur des voyageurs, mais pas de casse. Quelques rayures sur les caisses,
mais rien de sérieux.
Un examen un peu plus approfondit de la BB15000, confirme qu'il n'y a pas de casse, mis à part une sablière
tordue.
Voyage terminé sans incidents.
Le lendemain, lundi, j'arrive au bureau comme d'habitude, et André
arrive quelques instants après, catastrophé, le visage des
mauvais jours. "Ils m'ont cassé une 15000 !"
Comble de malheur, pas
moyen d'avoir le dépôt de la Villette. Au bout d'un moment,
je réalise qu'il s'agit de celle qui m'a ramené de Strasbourg. Difficile de l'approcher dans
l'état où il était. Un membre de sa famille aurait
été accidenté, que ce n'aurait pas été
pire .
Quand même, au bout d'un moment, j'arrive à lui
glisser timidement, qu'à part une sablière tordue, la machine
n'a absolument rien. Il me regarde, comme si je venais de lui parler en
patagon oriental. Puis
"qu'est-ce que tu me racontes ?"
"S' il s'agit de la BB15xxx (je ne me souviens plus du numéro),
j'étais à bord du Kleber, et j'ai fini le trajet en cabine.
Juste la sablière droite".
Alors, j'ai vu son visage se transformer, et son sourire habituel revenir,
raccrocher son téléphone, et me dire "expliques".
Un jour, avec je ne sais quel personnage officiel, encore une démo
de la pré-annonce du coté de Vierzon, avec une BB9200 Capitole.
J'étais en cabine, avec tout ce beau monde, dans un petit coin.
Ca semblait se passer normalement, quand d'un coup, je vois Fernand (Nouvion) se tourner
vers moi, et me dire discrètement "Ca merde, va voir si tu trouves
quelque chose". Je m'éclipse dans le ventre de la machine, et j'ai
fini le trajet, assis sur le compresseur, tenant enfoncé une des
cartes de l'électronique, qui avait perdu son verrouillage mécanique.
Je pense que tous les gars que j'ai connu doivent avoir des histoires
semblables par milliers.
Moi je ne m'occupais que de faible puissance, mais mes collègues
racontaient leurs mésaventures avec la puissance, et il nous est arrivé,
de piquer des crises de fou-rire assez mémorables.
Et parallèlement sous la direction de M. Cossié on travaillait sur un projet C03...
Il y avait aussi les jours de tristesse et de deuil. Heureusement, je
n'en ai vécu qu'un seul.
Le 26 septembre 1969, suite à un tamponnement avec un camion
(encore!) du coté de Hale en Belgique, la CC40106 s'est retrouvée
pliée en 3 dans le fossé. Que la machine soit foutue,
n'était pas dramatique en soit, mais ce qu'il y a de grave, c'est
qu'un conducteur y ait laissé la vie.. Cela nous a tous beaucoup marqué
D'autres
Même ces évenements dramatiques sont à, l'origine d'évolutions positives.
C'est pour palier à ce genre de chocs, que la structure des machines a
évoluée, avec charpente en poutrelles croisillonnée et bouclier à
l'avant. C'est la différence fondamentale entre les conceptions automobile et ferroviaire :
Dans la première, les véhicules doivent absorber le choc par déformation, alors
qu'une locomotive doit plutôt se comporter comme un bélier et dégager ce qui
se trouve devant, en ayant le moins de casse pour elle-même, et tant pis pour l'intrus
qui n'avait rien à faire là... Si cette politique avait été admise
plus tôt, quelques conducteurs de plus auraient connus la retraite, mais c'est l'expérience
qui fait évoluer les connaissances.
Un dernier exemple
qui illustre ce fait : lors d'un tamponnement, en 1962, entre une BB 20100 et comme d'hab. un camion,
le conducteur de la locomotive avait réussi à s'échapper dans la cabine arrière, mais la cabine qui
a percuté a été écrasée, et le conducteur est mort asphyxié.
C'était un camion de farine...
Malgré tout, tous les essais que l'on a pu faire, même
sans résultat probant, ont fait progressé la technique et la technologie,
pour arriver aux machines modernes, et ce n'est pas fini...
Les caisses
Et parallèlement sous la direction de M. Cossié on travaillait sur un projet C03...
Qui s'appellera plus tard TGV
Voilà une photo qui marque la fin du règne de celui que je considère
comme un pionnier, et comme je l'ai déja dit, un type rare. Mr Fernand Nouvion, le jour de
son départ en retraite. Il est à l'extrème gauche de la photo.
(Le type à lunettes, à sa gauche, c'est moi...). Avec le personnel de la DETE,
au grand complet, voiture d'essai compris.
Tous ces gens se réunissent aux environs de la date anniversaire du record de 1955 (enfin,
ce qu'il en reste).
J’ai pu les retrouver grâce à Internet et ce fut pour moi un immense plaisir de les retrouver, après plus de trente ans, et de
constater que leur enthousiasme et leur vivacité d'esprit ne s’était pas émoussé d'un Iota.
Pour terminer, éclatant résultat de tant d'efforts
1981,.
En cabine de la rame 16 du TGV sud-est, Fernand Nouvion, invité à sortir de sa retraite
et André Cossié. Tout le monde à le sourire, le record de 1955 est pulvérisé par une
homologation à 380 km/h
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B. Parent
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Pour m'écrire:bpcv@free.fr
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